Sir Lothian, lui aussi, s'engage à fond, car il a fait chez Limmer un pari supplémentaire de cinq mille contre trois mille sur Wilson. D'après ce que je sais de l'état de ses affaires, il sera sérieusement entamé si nous l'emportons... Eh bien, Lorimer?

-- Une personne qui désire vous voir, Sir Charles, dit le nouveau valet.

-- Vous savez que je ne reçois personne jusqu'à ce que ma toilette soit achevée.

-- Il insiste pour vous voir, monsieur. Il a presque enfoncé la porte.

-- Enfoncé la porte? Que voulez-vous dire, Lorimer? Pourquoi ne l'avez-vous pas mis dehors?

Un sourire passa sur la figure du domestique.

Au même instant, on entendit dans le corridor une voix de basse profonde.

-- Je vous dis de me faire entrer tout de suite, mon garçon. Autrement, ce sera tant pis pour vous.

Il me sembla que j'avais déjà entendu cette voix, mais lorsque par-dessus l'épaule du domestique j'entrevis une large face charnue, bovine, avec un nez aplati à la Michel-Ange au centre, je reconnus aussitôt l'homme que j'avais eu pour voisin au souper.

-- C'est War le boxeur, monsieur, dis-je. -- Oui, monsieur, dit notre visiteur en introduisant sa volumineuse personne dans la pièce. C'est Bill War, le tenancier du cabaret à la Tonne dans Jermyn Street et l'homme le mieux côté pour l'endurance. Il n'y a qu'une chose qui est cause qu'on me bat, Sir Charles, et c'est ma viande, ça me pousse si vite, que j'en ai toujours quatre stone, quand je n'en ai pas besoin. Oui, monsieur, j'en ai attrapé assez pour faire un champion des petits poids, avec ce que j'ai en trop. Vous auriez peine à croire en me voyant que, même après m'être battu avec Mendoza, j'étais capable de sauter par-dessus les quatre pieds de hauteur de la corde qui entoure le ring, avec l'agilité d'un petit cabri, mais, maintenant, si je lançais mon castor dans le ring, je n'arriverais jamais à le ravoir, à moins que le vent ne l'en fasse sortir, car le diable m'emporte si je pourrais passer par-dessus la corde pour le rattraper. Je vous présente mes respects, jeune homme, et j'espère que vous êtes en bonne santé.

Une expression de vive contrariété avait paru sur la figure de mon oncle, en voyant envahir ainsi son séjour intime. Mais c'était une des nécessités de sa situation de rester en bons termes avec les professionnels. Il se contenta donc de lui demander quelle affaire l'amenait.

Pour toute réponse, le gros lutteur jeta sur le domestique un regard significatif.

-- C'est chose importante, Sir Charles, et ça doit rester entre vous et moi.

-- Vous pouvez sortir, Lorimer... À présent, War, de quoi s'agit- il?

Le boxeur s'assit fort tranquillement à cheval sur une chaise, en posant ses bras sur le dossier.

-- J’ai eu des renseignements, Sir Charles, dit il. -- Eh bien! Qu'est-ce que c'est? s'écria mon oncle avec impatience.

-- Des renseignements de valeur.

-- Allons, expliquez-vous.

-- Des renseignements qui valent de l'argent, dit War en pinçant les lèvres.

-- Je vois que vous voulez qu'on vous paie ce que vous savez.

Le boxeur eut un sourire affirmatif.

-- Oui, mais je n'achète rien de confiance. Vous me connaissez assez pour ne pas jouer ce jeu-là avec moi.

-- Je vous connais pour ce que vous êtes, Sir Charles, c'est-à- dire pour un noble Corinthien, un Corinthien fini. Mais voyez- vous, si je me servais de ça contre vous, ça me mettrait des centaines de livres dans la poche. Mais mon coeur ne le souffrira pas. Bill War a toujours été pour le bon sport et le franc jeu. Si je m'en sers pour vous, j'espère que vous ferez en sorte que je n'y perde pas.

-- Vous pouvez agir comme il vous plaira, dit mon oncle. Si vos informations me sont utiles, je saurai ce que je dois faire pour vous.

-- On ne saurait parler plus franchement que ça. Nous nous en contenterons, patron, et vous vous montrerez généreux comme vous avez toujours passé pour l'être. Eh bien, notre homme, Jim Harrison, combat contre Wilson le Crabe, de Gloucester, demain, sur la dune de Crawley pour un enjeu. -- Eh bien, après?

-- Connaîtriez-vous par hasard quelle était la cote hier?

-- Elle était à trois contre deux sur Wilson.

-- C'est ça même, patron. Trois contre deux, voilà ce qui a été offert dans le salon de mon bar. Savez vous où en est la cote aujourd'hui?

-- Je ne suis pas encore sorti.

-- Eh bien! je vais vous le dire, elle est à sept contre un sur votre homme.

-- Vous dites?

-- Sept contre un, patron, pas moins.

-- Vous dites des bêtises, War. Comment peut-il se faire que la cote ait passé de trois contre deux à sept contre un?

-- Je suis allé chez Tom Owen, je suis allé au Trou dans le Mur, je suis allé à La Voiture et les Chevaux, et vous pouvez miser à sept contre un dans n'importe laquelle de ces maisons. On joue de l'argent par tonnes contre votre homme. C'est la même proportion qu'un cheval contre une poule dans toutes les maisons de sport, dans toutes les tavernes, depuis ici jusqu'à Stepney.

L’expression qui parut sur la figure de mon oncle me convainquit que l'affaire était vraiment sérieuse pour lui. Puis il haussa les épaules avec un sourire d'incrédulité.

-- Tant pis pour les sots qui misent, dit-il. Mon homme est en bonne forme. Vous l'avez vu hier, mon neveu?

-- Il allait très bien, hier, monsieur.

-- S'il était arrivé quelque chose de fâcheux, j'en aurais été informé.

-- Mais peut-être qu'il ne lui est rien arrivé de fâcheux pour le moment, dit War.

-- Que voulez-vous dire?

-- Je vais m'expliquer, monsieur. Vous vous rappelez, Berks? Vous savez que c'est un homme qui ne doit guère inspirer de confiance en tout temps et qu'il en veut à votre homme, parce qu'il a été battu par lui dans le hangar aux voitures.

«Bon! hier soir, vers dix heures, il entre dans mon bar escorté des trois plus fieffés coquins qu'il y ait à Londres. Ces trois- là, c'étaient Ike-le-Rouge, celui qui a été exclu du ring pour avoir triché avec Bittoon, puis Yussef le batailleur, qui vendrait sa mère pour une pièce de sept shillings; le troisième était Chris Mac Carthy, un voleur de chiens par profession, qui a un chenil du côté de Haymarket. Il est bien rare de voir ensemble ces quatre types de beauté, et ils en avaient tous plus qu'ils ne pouvaient en tenir, excepté Chris, un lapin trop malin pour se griser quand il y a une affaire en train. De mon côté, je les fais entrer au salon.

«Ce n’était pas que la chose en valût la peine, mais je craignais qu'ils ne commencent à chercher noise à mes clients et je ne voulais pas non plus compromettre ma licence en les laissant devant le comptoir. Je leur sers à boire et je reste avec eux, rien que pour les empêcher de mettre la main sur le perroquet empaillé et les tableaux.

«Bon! patron, pour abréger, ils se mirent à parler du combat et ils éclatèrent de rire à l'idée que le jeune Harrison pourrait gagner, tous, excepté Chris qui restait à faire des signes et des grimaces aux autres, tellement, qu'à la fin Berks fut sur le point de lui lancer un coup de torchon dans la figure pour sa peine.

Jim Harrison, boxeur Page 55

Arthur Conan Doyle

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