-- Soit, allons à Five's Court.

Mais cela ne faisait pas du tout le compte de l'hôtelier. Il voyait dans cet heureux incident l'occasion de moissonner une récolte nouvelle dans les poches de la dépensière compagnie.

-- Si vous le voulez bien, s'écria-t-il, il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin. Mon hangar à voitures derrière la cour est vide et vous ne trouverez jamais d'endroit plus favorable pour se cogner.

Une exclamation unanime s'éleva en faveur du hangar à voitures et ceux qui étaient près de la porte s'esquivèrent en toute hâte dans l'espoir de s'emparer des meilleures places.

Mon gros voisin, Bill War, tira Harrison à l'écart.

-- J'empêcherais ça, si j'étais à votre place.

-- Si je le pouvais, je le ferais. Je ne désire pas du tout qu'il se batte. Mais, quand il s'est mis quelque chose en tête il est impossible de le lui ôter.

Tous les combats qu'avait livrés le pugiliste, si on les avait mis ensemble, ne l'auraient pas mis dans une semblable agitation.

-- Alors chargez-vous de lui et prenez l'éponge, quand les choses commenceront à tourner mal. Vous connaissez le record de Joe Berks?

-- Il a commencé depuis mon départ.

-- Eh bien! C'est une terreur. Il n'y a que Belcher qui puisse venir à bout de lui. Vous voyez vous-même l'homme: six pieds et quatorze stone. Avec cela, le diable au corps. Belcher l’a battu deux fois, mais la seconde il lui a fallu se donner bien du mal.

-- Bon, bon, il nous faut en passer par là. Vous n'avez pas vu le petit Jim sortir ses muscles. Sans quoi, vous auriez meilleure opinion de ses chances. Il n'avait guère que seize ans quand il rossa le Coq des Dunes du Sud, et depuis, il a fait bien du chemin.

La compagnie sortait à flots par la porte et descendait à grand bruit les marches.

Nous nous mêlâmes donc au courant.

Il tombait une pluie fine et les lumières jaunes des fenêtres faisaient reluire le pavage en cailloux de la cour.

Comme il faisait bon respirer cet air frais et humide, en sortant de l'atmosphère empestée de la salle du souper. À l'autre bout de la cour, s'ouvrait une large porte qui se dessinait vivement à la lumière des lanternes de l'intérieur.

Par cette porte entra le flot des amateurs et des combattants qui se bousculaient dans leur empressement, pour se placer au premier rang.

De mon côté, avec ma taille plutôt petite, je n'aurais rien vu, si je n'avais rencontré un seau retourné sur lequel je me plantai en m'adossant au mur.

La pièce était vaste avec un plancher en bois et une ouverture en carré dans la toiture. Cette ouverture était festonnée de têtes, celles des palefreniers et des garçons d'écurie qui regardaient de la chambre aux harnais, située au-dessus.

Une lampe de voiture était suspendue à chaque coin et une très grosse lanterne d'écurie pendait au bout d'une corde attachée à une maîtresse poutre.

Un rouleau de cordage avait été apporté et quatre hommes, sous la direction de Jackson, avaient été postés pour le tenir.

-- Quel espace leur donnez-vous? demanda mon oncle.

-- Vingt-quatre pieds, car ils sont tous deux fort grands, Monsieur.

-- Très bien. Et une demi-minute après chaque round, je suppose. Je serai un des arbitres, si Sir Lothian Hume veut être l'autre et vous Jackson, vous tiendrez la montre et vous servirez d'arbitre suprême.

Tous les préparatifs furent faits avec autant de célérité que d'exactitude par ces hommes expérimentés.

Mendoza et Sam le Hollandais furent chargés de Berks. Petit Jim fut confié aux soins de Belcher et de Jack Harrison.

Les éponges, les serviettes et une vessie pleine de brandy furent passées de mains en mains, pour être mises à la disposition des seconds.

-- Voici votre homme, s'écria Belcher. Arrivez, Berks, ou bien nous allons vous chercher.

Jim parut dans le ring, nu jusqu'à la ceinture, un foulard de couleur noué autour de la taille.

Un cri d'admiration échappa aux spectateurs quand ils virent les belles lignes de son corps, et je criai comme les autres.

Il avait les épaules plutôt tombantes que massives, mais il avait les muscles à la bonne place, faisant des ondulations longues et douces, du cou à l'épaule, et de l'épaule au coude.

Son travail à l'enclume avait donné à ses bras leur plus haut degré de développement.

La vie salubre de la campagne avait revêtu d'un luisant brillant sa peau d'ivoire qui reflétait la lumière des lampes.

Son expression indiquait un grand entrain, la confiance. Il avait cette sorte de demi-sourire farouche que je lui avais vu bien des fois dans le cours de notre adolescence et qui indiquait, sans l’ombre d'un doute pour moi, la détermination d'un orgueil dur comme fer. Il perdrait connaissance, longtemps avant que le courage l’abandonnât.

Pendant ce temps, Joe Berks s'était avancé d'un air fanfaron et s'était arrêté les bras croisés entre ses seconds, dans l'angle opposé.

Son expression n'avait rien de la hâte, de l'ardeur de son adversaire et sa peau d'un blanc mat, aux plis profonds sur la poitrine et sur les côtes, prouvait, même à des yeux inexpérimentés, comme les miens, qu'il n'était pas un boxeur manquant d'entraînement.

Certes une vie passée à boire des petits verres et à se donner du bon temps l'avait rendu bouffi et lourd.

D'autre part, il était fameux par son adresse, par la force de son coup, de sorte que même devant la supériorité de l'âge et de la condition, les paris furent à trois contre un en sa faveur.

Sa figure charnue, rasée de près, exprimait la férocité autant que le courage.

Il restait immobile, fixant méchamment Jim de ses petits yeux injectés de sang, portant un peu en avant ses larges épaules, comme un mâtin farouche tire sur sa chaîne.

Le brouhaha des paris s'était augmenté, couvrant tous les autres bruits. Les hommes se jetaient leurs appréciations d'un côté à l'autre du hangar, agitaient les mains en l'air pour attirer l'attention ou pour faire signe qu'ils acceptaient un pari.

Sir John Lade, debout au premier rang, criait les sommes tenues contre Jim et les évaluait libéralement avec ceux qui jugeaient d'après l'apparence de l'inconnu. -- J'ai vu Berks se battre, disait-il à l'honorable Berkeley Craven. Ce n'est pas un blanc bec de campagnard qui battra un homme possesseur d'un pareil record.

-- Il se peut que ce soit un blanc bec de campagnard, dit l'autre, mais on m'a tenu pour un bon juge en fait de bipèdes ou de quadrupèdes et je vous le dis, Sir John, je n'ai jamais vu de ma vie homme qui parût mieux en forme. Pariez-vous toujours contre moi?

-- Trois contre un.

-- Chaque unité compte pour cent livres.

-- Très bien, Craven! les voilà partis. Berks! Berks! Bravo! Berks! Bravo! Je crois bien Berkeley que j'aurai à vous faire verser ces cent livres.

Les deux hommes s'étaient mis debout face-à-face, l'un aussi léger qu'une chèvre, avec son bras gauche bien en dehors, et le bras droit en travers du bas de sa poitrine, tandis que Berks tenait les deux bras à demi ployés et les pieds presque sur la même ligne, de façon à pouvoir porter en arrière l'un ou l'autre.

Jim Harrison, boxeur Page 43

Arthur Conan Doyle

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